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Enfin, le Royaume de la Terre. Je me sentais étrangement bien, comme à chaque fois aux prémices d'une nouvelle aventure. Mélange d'excitation et d'angoisse, d'appréhension et d'exaltation ; j'avais l'impression de pouvoir changer le monde d'un simple effort de volonté.
C'est d'un pas enjoué que je commençai mon périple, empli d'un enthousiasme que j'avais rarement éprouvé. Mais bien sûr, cela ne pouvait durer ; c'est au bout de quelques heures seulement que le doute m'assaillit à nouveau, rallié par de douloureux souvenirs. Mais je tint bon, si je flanchais maintenant, jamais je ne viendrais à bout de ma quête, et les esprits savent qu'elle pouvait durer.
Ce jour là je marchai jusqu'au soir sans encombres, à nouveau serein et plein d'espoir. La proximité du fleuve y était pour beaucoup, tout comme la sylve immémoriale parcourue d'innombrables sources d'eau que je longeais.
Le ciel était clair, parsemé d'étoiles qui veillaient depuis l'aube des temps. Éternel. Ce fût le mot qui me vint le premier à l'esprit, et qui exprimait tout à fait ce que je ressentais.
Mais cet instant de lucidité passé, des pensées plus terre à terre m'assiégèrent ; un ciel dégagé en cette période de l'année annonçait à coup sûr de fortes gelées dans la nuit.
Par chance, j'avais dépassé une cabane abandonnée un peu plus tôt. Une fois revenu sur mes pas, je constatai avec plaisir que la porte tenait encore sur ses gonds et que la cheminée était toujours en état de fonctionner, bien que rudimentaire. Mais tout ce qui m'importait était de passer la nuit au chaud et au sec.

Le lendemain matin, je me levai en même temps que le soleil, et repris la route aussitôt après avoir plié mes affaires, mangeant en marchant.
Voyageant seul depuis la veille sans avoir rencontré âme qui vive, je fus surpris de voir trois silhouettes se découper à l'horizon. Alors qu'elles se rapprochaient, je me rendis compte qu'il s'agissait en fait de trois femme, et l'une d'elle était un maître de l'eau. J'en étais persuadé sans vraiment comprendre comment, et bien qu'elle portât des habits de voyage couverts de poussière, je savais que je ne faisais pas erreur.
Absorbé par mes pensées, j'étais maintenant presque au niveau de ces trois drôles de dames sans m'en être rendu compte. C'est alors que l'une d'elles m'accosta...

Sur les trois silhouettes que Ethane voyait, deux marchaient en avant et une autre marchait plus derrière. Elle était difficile à remarquer car avec sa petite taille elle était cachée, mais ses cheveux blonds relevés en queue de cheval et ses yeux cernés montraient à quel point sa nuit avait du être courte.
Arina et Kalae avaient eu la gentillesse d'offrir à la jeune Unkido de l'accompagner jusqu'à un bateau qui la mènerait à la tribu de l'eau du pole nord. Elle aurait bien aimé que Kalae lui tienne compagnie jusqu'au bout, mais elle ne voulait pas trop en demander. De toute manière, elle s'était toujours débrouillée seule sans sa maîtrise. C'était d'ailleurs la première fois qu'elle s'entendait si bien avec un groupe de filles, préférant habituellement la rudesse et le sens de l'humour des hommes du cirque...

Arina menait la marche de son pas décidé de "tassez-vous de mon chemin, je passe sinon je vous transforme en cendres" tandis que Kalae se moquait gentiment du manque de sommeil de Kaïla qui, enroulée dans ses habits de la nation du feu, répondais par des onomatopées. Petit caractère la métis!
Arina fit comprendre que quelqu'un marchait à notre rencontre. Se mettant sur la pointe des pieds, Kaïla put voir un homme de taille moyenne (mais d'une taille tout de même gigantesque comparativement à Kaïla). Il semblait avoir la tête encore plus haut que les nuages et des étoiles dans les yeux qui lui donnaient un air rêveur. Alors que nous passions à côté de lui, Arina le regardait avec un regard sombre. Avec les aventures qu'on venait de vivre elle avait toutes les raisons d'agir ainsi. Kaïla quand à elle remarqua la gourde d'eau et la bourse à sa ceinture. Elle profita que l'home soit perdu dans ses pensées pour tendre la main vers la gourde afin de la lui voler, mais il reprit conscience au dernier moment. Se voyant mal positionnée, Kaïla feint la chute et se retint sur le voyageur.

- Oups... désolée!

Ses talents de comédienne et d'artiste lui sauvèrent la vie. Si elle n'était pas capable de mentir, elle était au moins capable de jouer.

Ayant remarqué au dernier moment la tentative de la jeune damoiselle ainsi que son adroit rattrapage (au sens figuré uniquement) je la retins avant qu'elle n'atteigne le sol.
Bizarrement, quelque chose de familier émanait d'elle, mais je n'arrivais pas à savoir quoi. Une vague impression que j'étais incapable de définir, mais qui pourtant était bien présente.
Perplexe, je lui pris la main pour l'aider à retrouver son équilibre lorsqu'une vision me traversa.
Un océan déchainé, des navires de la nation du feu ; un village de glace dévasté, des hommes luttant désespérément contre une marée de soldats, des villageois paniqués s'enfuyant là où ils le pouvaient...
Sous le choc, je secouai la tête pour m'éclaircir les idées. Que venait-il de se passer ? La scène ressemblait vaguement aux descriptions des guerres d'autrefois, mais pourquoi avais-je vu ça ?
Revenant à moi je remarquai que les trois femmes me fixaient d'un air étrange, quelque peu gêné, j'essayai de reprendre un air naturel.
- Tu as soif ? Alors que je posai cette question à la fille que je venais de relever, je sus d'où venait le sentiment qu'elle m'avait provoqué !
En lui tendant ma gourde, je chuchotai de manière à ce qu'elle seule puisse entendre :
- Que fait une fille de l'eau dans un tel accoutrement et cachant ses pouvoirs ?
Son teint pâle vira au rouge pivoine et elle faillit s'étrangler.

Sa réaction me surprit mais j'aurais du m'y attendre, elle avait grandi dans la nation du Feu. Avec un soupir, je me servis de l'eau du fleuve afin de reprendre mes distances et me remettre d'aplomb.
Selon toute vraisemblance, on n'échappait pas à son destin. Ainsi, c'était ce jour qu'avait choisi mon passé pour me rattraper ; et bien soit, je l'accepterais comme il se devait. Si la vieille femme m'avait dit la vérité, cette fille devait m'accompagner et m'aider... Mais m'aider à quoi ? Si seulement j'avais écouté et ne m'étais pas enfui... Enfin, les regrets ne changeraient pas le passé, ce qui était fait était fait.
Mais comment la convaincre de me suivre, je n'étais moi même pas sûr de ce que je devais faire : passer mon chemin ou écouter mes souvenirs ?
Quoiqu'elle venait d'avouer avoir découvert sa maîtrise depuis seulement deux semaines, elle ne devait donc pas connaître une partie de son passé et être intriguée en même temps, qu'est ce que la fille du feu qu'elle croyait être faisait avec ces pouvoirs de l'élément opposé ? Je comptais bien jouer là dessus pour la persuader.
- Je peux t'aider à découvrir d'où tu viens et pourquoi tu peux maîtriser l'eau. Si tu viens avec moi, je pourrai t'enseigner à développer ce don ; je suppose que le maître qui t'accompagne n'a rien réussi à t'apprendre...

- Dis-moi d'abord pourquoi, homme de l'eau, tu me parles comme si on se connaissait depuis tout ce temps ?
Bonne question... Je n'en savais rien moi même. C'est pourtant sur un ton assuré que je poursuivis :
- Car je t'attendais.
Les mots sortirent tout seuls, naturellement. Apparemment je venais de faire mon choix, j'allais croire à ce que j'avais toujours fui et donc à ce que cela impliquait ; mais il me semblait impensable de faire autrement.
Devant son air incrédule, je continuai :
- On m'a annoncé ta rencontre il y a bien longtemps.
Repenser à mon passé était si douloureux... Des jours heureux, une famille heureuse, moi, heureux. Un sourire chaleureux, toujours là pour me consoler, des yeux rieurs, un visage bien veillant... La mort, la destruction, le carnage ; un village dévasté, des cœurs brisés. Une larme, un soupir. Plus rien. Le vide.
Pas maintenant ! Je réprimai durement ma mémoire pour revenir à l'instant présent, mais, de nouveau, j'avais dû être absent. Je détestais vraiment ces moments, à chaque fois mes interlocuteurs me fixaient comme si des cornes venaient de me pousser... Cette fois ci ne fit pas exception.
Je toussotai pour me refaire une contenance, il fallait vraiment que je trouve une solution pour éviter ce genre de situations. Mais apparemment, mes trois charmantes compagnes n'avaient pas l'air de s'en formaliser.

Kaïla était bouche bée. Jamais elle avait entendu de telles insanités. Un homme qu'elle ne connait pas du tout s'inventait des histoires l'incluant. ELle avait une forte envie de tout lui balancer au visage le caractère ridicule de la situation et le laisser, pleurant sur le bord de la route. L'image lui semblait un peu trop méchante pour ce pauvre homme qui ne semblait pas savoir où il se trouvait une minute sur cinq déraillant à tout bout de champs dans un monde où lui seul semblait exister.
Pendant sa dernière absence, Kaïla regarda ses deux compagnes d'un regard interrogateur qui se changea en sourire: une idée venait de germer et ce n'était jamais bon signe.

Pensons rapidement d'une perspective autre. Oublions Kaïla et Ethane. Quel genre de dépossédé mental accepterait de suivre un parfait inconnu avec ces phrases comme seul motif?

Il était évident de toute manière que sa route avec Arina et Kalae s'arrêtait ici pour le moment. Un hurluberlu lui proposait de le suivre pour des raisons bidons. Aventure intéressante en perspective.

- Je m'appelle Kaïla, mais ça, tu le savais sûrement déjà.

Sourire moqueur. Rendue à ce niveau, c'était soit par violence, soit par sarcasme qu'elle répondait. Autant choisir le sarcasme afin de tester la répartie du jeune fils de l'eau.

- Si tu commençais ton histoire du début...

Comme ils l'avaient fait si souvent dans les derniers temps, Arina alluma un feu et, moins d'une minute plus tard, quatre coupes de céramique fûmaient d'un liquide ambré.

- Je m'appelle Kaïla, mais ça, tu le savais sûrement déjà.
A vrai dire pas vraiment... Mais je gardai cette remarque pour moi. Je savais seulement qu'elle était celle qui devait me suivre, pourtant, quelle personne saine d'esprit accepterait de suivre un parfait étranger sur de telles allégations ? Mais il le fallait ; je ne savais pas pourquoi mais il devait en être ainsi.
Avant que je ne puisse répondre, un petit feu était déjà allumé et des tasses de thé fumantes servies.
- Si tu commençais ton histoire du début...
- ...
Raconter mon passé... Là, maintenant, devant trois inconnues... Alors que je le fuyais depuis des années...
C'était hors de question, pas tout de suite, pas aujourd'hui !
J'allais donc devoir user de toute mon éloquence.
- Non. Tu découvriras mon histoire en temps voulu, si toutefois tu venais à accepter de me suivre. Saches seulement qu'on m'appelle Ethane, tu n'auras pas besoin d'en savoir plus pour le moment.
Tu m'as l'air bien sûre de toi, mais sais tu seulement qui tu es, Kaïla ? N'as tu jamais cherché à savoir pourquoi, avec toute l'énergie que tu as dû dépenser à devenir maître du feu, tu maîtrises l'élément opposé ? Ne t'es tu jamais demandé où est ta place ? Pourquoi toi ? N'as tu jamais voulu comprendre ?
Je t'offre cette chance, mais peut être es-tu trop lâche, peut être voudrais tu garder tes illusions bienveillantes ; mais ces illusions ne te protégeront pas, ni de la honte, ni de la réalité. Toi seule en a le pouvoir, découvres tes origines et accepte ce qui ne peut être défait, aborde le fièrement et ne t'en caches plus. Et à ce moment seulement tu pourras vivre.
J'avais exprimé ce que je ressentais, mais si elle ne me prenait pas pour un fou furieux après cette tirade, j'avais de la chance. A moins qu'elle ne prenne conscience de cette fatalité...

Ethane continuait de parler, mais Kaïla n'écoutait plus.
Elle s'était résignée à s'asseoir l'esprit vide afin de comprendre les mots d'Ethane dans toute leur subtilité. Mais les mots qu'il utilisa, la première phrase qu'il dit embrouilla totalement ses pensées. Le problème était justement qu'il avait totalement vu juste.
Le bol rempli de thé encore bouillant fit un brusque mouvement sur le côté. Le thé quitta le bol et atterrit sur le visage d'Éthane qui, pris d'une douleur soudaine, ravala tout de même son hurlement pour s'éponger le visage.
Lorsqu'il ouvrit les yeux, la jeune artiste était à deux pouces de son visage, le regard accusateur.

- Que sais-tu de moi?

Entre-temps, Arina et Kalae avaient quitté les lieux pour laisser Kaïla régler ses problèmes.

- Tu parles comme si tu on se connaissait de longue date, tu affirmes ces allusions sur moi alors que tu ne connais rien! Qu'est-ce que tu cherches ou juste? Si ton seul but est que je te suive sans poser de questions, tu ferais mieux de partir tout de suite!

Elle repensa aux années de tristesse qu'elle avait vécues à se sentir seule dans une marée de monde enflammée. Comment elle avait senti en elle toute l'eau s'évaporer en elle pour entrer dans le moule de la nation, pour se protéger. Et le choc que ce fut quand Arina lui apprit qu'elle utilisait la Maîtrise.
Elle repoussa Ethane d'un geste mou, plus pour l'éloigner d'elle que pour lui faire du mal.

- Tu sembles vouloir t'occuper de mes problèmes, règle donc les tiens avant!

Je venais tout juste de finir mon discours que je reçus de pleine face le contenu brûlant de sa tasse. Me levant d'un bond, je refroidis vivement l'eau bouillante à l'aide de ma maîtrise. Eh bien, j'avais réussi à la provoquer, mais à quel point ?
- Que sais-tu de moi?
"Malheureusement pas grand chose."
- Tu parles comme si tu on se connaissait de longue date, tu affirmes ces allusions sur moi alors que tu ne connais rien ! Qu'est-ce que tu cherches au juste ? Si ton seul but est que je te suive sans poser de questions, tu ferais mieux de partir tout de suite !
Ça avait au moins le mérite d'être clair, mais je ne me serais pas laissé décourager si facilement.
- Tu sembles vouloir t'occuper de mes problèmes, règle donc les tiens avant !
Et voilà qu'elle mettait le doigt sur un point crucial, mais pour régler mes problèmes, j'avais besoin d'elle. Peut être qu'en lui disant la vérité... Elle me prendrait pour un fou mais il m'était avis que c'était déjà le cas, je n'avais donc rien à perdre.
- A vrai dire, je ne sais que peu de choses sur toi, beaucoup moins que je ne le voudrais... Mais j'ai besoin de toi, tu me prends surement pour un fou, mais tu dois m'accompagner ; c'est important pour nous deux, même si tu ne le sais pas encore.
Mon dernier espoir était en train de s'éteindre, tristement. Jamais elle ne me croirait...

Lorsque Kaïla lança son bol dans le feu, créant une gerbe d'étincelles au passage, je m'attendis au pire. Puis elle prit la parole.
Comment pouvait-elle seulement envisager que je dise la vérité ? Stupéfait, je l'écoutai sans broncher ; elle considérait même la possibilité de me suivre. Apparemment, elle était encore moins saine d'esprit que moi, mais plus on est de fous, moins y'a d'riz...
Encore hébété, je décidai de tout lui dire.
- Pour être franc, je n'en sais pas plus que toi, sinon que tu dois m'accompagner et que c'est essentiel. Je n'y avais moi même jamais cru, jusqu'à ce que je te croise.
Et encore maintenant, je me demande si j'ai bien fait... Mais peut être que cela ne pouvait se passer autrement, seul l'avenir le dira.
Je n'avais plus qu'à espérer qu'elle soit complétement convaincue, ou au moins assez pour me suivre. Mais une autre question se poserait alors : où irions nous ? Peut être devrions nous poursuivre vers mon but initial, elle pourrait en découvrir plus sur son passé et apprendre à mieux maîtriser l'eau, quant à moi...
Enfin, dans tous les cas de longues journées de marche m'attendaient, j'aurais tout le temps d'y penser plus tard.

Mauvaise humeur... Sarcasmes... Ça mettrait un peu d'animation après tout, c'était toujours mieux que rien.
- Je pensais continuer vers le Sud, en passant par la capitale pour chercher des informations. Je devrais peut être commencer par le début... En faisant des recherches dans la grande bibliothèque de la tribu de l'eau du Pôle Nord, d'où je viens, j'ai trouvé des références obscures traitant de maîtres de l'eau bannis, accompagnés dans leur exil par d'autres maîtres partageant les mêmes idéaux. D'après ce que j'ai pu comprendre, ils seraient parti en direction des terres du sud, mais personne ne les a jamais revus. Je suppose qu'ils se sont établis près d'un point d'eau, avec vraiment beaucoup d'eau, par contre je n'ai vu mentionné nulle part les raisons de leur départ. Mais je suis sûr d'une chose, il faut que je trouve les ruines de leur communauté.
Et je pense que tu pourrais en découvrir plus que tu ne l'espères sur tes origines, si jamais tu venais avec moi.
Elle avait l'air disposée à me suivre. Ne plus voyager seul était une idée séduisante, au début du moins...

[C'est un peu court mais j'ai pas trop de temps, et comme ces derniers jours j'étais assez pris, je préférais quand même poster une réponse. J'espère que tu ne m'en voudras pas. =P]

(je te comprends, fin de session moi aussi ^^)

Kaïla écoutait l'inconnu avec une attention frôlant l'étrangeté. C'était plus fort qu'elle: après avoir passé près de 10 ans à faire la clown pour un cirque, ses expressions faciales restaient démesurées et, disons-le, cocasse. Mais le visage de la jeune artiste n'était rien comparativement au discours d'Ethane.

- Es-tu en train de me dire que non seulement tu guides ta vie sur les dires d'une voyante bidon, mais tu ne sais pas du tout où tu vas?

Elle se laissa tomber sur le banc de fortune sur lequel elle était assise avant de (encore) peter les plombs quelques minutes plus tôt.

- J'ai une meilleure idée. Nous allons au Pôle Nord! Puisque tu ères sans but et que moi j'en ai un, j'imagine que nous irons plus loin si nous allons dans une direction plus tangible.

Ce n'était pas voulu, mais son ton était tranché net et ne permettait aucune réplique.

Retourner au Pôle Nord, pourquoi pas après tout, nous n'en étions pas loin et c'était son but premier. Nous ne trouverions probablement rien de plus mais on ne savait jamais, et puis je n'étais pas pressé.
- Si tu y tiens... Je ne suis pas vraiment à ça près, même si je suis presque convaincu de ne rien apprendre de plus, mais peut être que tu y trouveras quelque chose sur tes origines.
Je ne voulais pas non plus discuter son choix, autant éviter de se disputer dès la première heure pour partir sur de bonnes bases. Mais elle n'aurait pas toujours le dernier mot aussi facilement...

Sur cette pensée, je ramassai mon sac qui trainait au sol et lui conseillai de faire ses adieux à ses amies qui attendaient plus loin.
L'après midi était à peine entamée, autant partir tout de suite si on voulait atteindre la côte le lendemain avant la nuit.
Tout était calme pour l'instant, mais je sentais déjà que les semaines à venir seraient mouvementées.

Peu après nous être remis en route, ses amies d'un côté et nous de l'autre, nous marchions d'un bon pas lorsqu'elle engagea la conversation. Je n'étais pas particulièrement bavard mais il aurait été inconvenant de ne pas lui répondre, après tout c'était moi qui avais tenu à ce qu'elle me suive.
- Je ne m'attendais pas à ce qu'une voyageuse trébuche malencontreusement (j'insistai volontairement sur ce mot) et se rattrape à moi. C'est seulement à ce moment que j'ai perçu ta maîtrise, ce qui m'a rappelé d'anciens souvenirs. Je ne pensais pas les laisser guider mes actes, mais peut être que j'avais peur de passer à côté de quelque chose en fin de compte... Quoiqu'il en soit, j'avais conscience de pouvoir passer pour un fou mais c'était toujours mieux que de ne rien tenter, et je crois que j'ai bien fait.
Avais-je effectivement bien fait ? Le doute m'assaillait, mais si je n'avais rien fait, il n'en aurait été que plus profond. Il y avait beaucoup moins de risques de manquer quelque chose en étant avec cette fille qu'en ayant continué seul. Tout au plus, j'aurais seulement perdu quelques jours, et le temps n'étais pas contre moi.
A peine ma phrase achevée, un grondement sourd nous fit lever la tête. L'orage qui couvait depuis le matin venait de nous rattraper, et des trombes d'eau s'approchaient à une vitesse vertigineuse. La pluie s'abattit sur nous que l'écho de l'éclair qui nous avait surpris résonnait encore. Instinctivement, je me servis de ma maîtrise de façon à dévier l'eau qui tentait de m'atteindre, l'étendant à ma compagne.
- Il y a un refuge à quelques heures d'ici, j'y ai passé la nuit. Si être encerclée de cette façon ne t'incommode pas, je devrais pouvoir nous tenir au sec jusque là, à moins que tu ne préfères trouver un abris plus proche le temps que ça passe ?
Je devais presque crier pour me faire entendre par dessus le vacarme que produisait les milliers de gouttes s'écrasant au sol. Pourtant, ce bruit m'apaisait ; il recouvrait le monde comme d'un un voile étouffant tous les sons, me procurant une impression de sérénité qui était tout bonnement incomparable. J'aimais la pluie.

La réponse du jeune fils de l'eau ne sembla pas la satisfaire. Kaïla regardait ses pieds et sentait au fut et à mesure que le trajet avançait que l'air s'alourdissait, que le duvet sur ses bras s'hérissait, mais ne pouvait expliquer pourquoi. Quand la cause de ce malaise éclata en un averse violents, Ethane devait crier pour continuer de se faire entendre.
Le mouvement de maîtrise d'Ethane surprit la jeune artiste et elle l'observa attentivement. Après tout, la pluie était de l'eau (elle était bien capable de maîtriser l'huile...) et en théorie, elle serait capable d'en faire autant... seulement, elle ne voulait pas faire une tentative de maîtrise et la rater sous le regard "je-sais-tout" D'Ethane. On pouvait se sentir bien au sec sous le parapluie improvisé de son compagnon de voyage. Mais voilà, Kaïla ne se sentait pas à l'aise non seulement parce que son réveil avait été brutal à l'aurore, mais aussi parce qu'elle avait un peu mal partout et elle n'avait pas pris de bain depuis un moment déjà. Elle avait envie d'un peu de folie!

- Sais-tu, ce que tu dis là est totalement cinglé.

Elle ne parlait pas de la réponse à sa question, mais bien du concept de rester au sec.

- Pourquoi avoir peur d'un peu d'eau?

Sur ce, elle s'écarta du parapluie et fut trempée en moins de deux secondes. Elle sentait la pluie tomber sur son visage, les bras en croix et un énorme sourire aux lèvres. On pouvait voir les gouttelettes d'eau parcourir son corps et rester aux endroits qui la faisaient souffrir pour guérir ses douleurs internes.

- Il ne pleut jamais à la nation! J'en profite quand je peux!

Elle bascula vers l'avant et se tint en équilibre sur les mains. La terre boueuse rendait la manœuvre un peu dangereuse, mais tout ça semblait faire parti du jeu. Revenue à l'endroit, elle nettoya ses mains avec l'eau qui tombait et dû se retenir pour ne pas former une boule d'eau et la lancer sur Ethane.
Après tout, Kaïla n'avait pas aussi mauvais caractère qu'on pouvait le voir à la première impression!

Kaïla m'étonna en se dégageant de l'abri que je lui étendais pour aller se tremper complétement, mais elle était une fille de l'eau autant qu'une fille du feu après tout.
Heureux de ne plus avoir à dévier les gouttes pour la protéger (car le faire uniquement sur une autre personne était beaucoup plus fastidieux que de se protéger soi même en étendant cette protection à quelqu'un d'autre), je laissai à mon tour la pluie s'abattre sur moi, j'allais pouvoir profiter pleinement de l'averse.
Qu'il était agréable de sentir l'eau dégouliner le long de mon visage, s'infiltrant dans mes vêtements et les détrempant jusqu'à m'imprégner totalement son énergie purificatrice. Savourant ce moment je n'entendis qu'à peine ce qu'elle me disait, lorsque je la vis faire une pirouette et se remettre d'aplomb avec adresse.
La voyant commencer à former une sphère aqueuse puis la dissoudre aussitôt, une idée me vint. Profitant qu'elle regardât ailleurs, je me déplaçai discrètement de façon à sortir de son champ de vision déjà restreint par le déluge. Une fois convenablement placé, je déviai la pluie quelque mètres au dessus d'elle en faisant remonter l'eau à ses pieds sous forme de petits globes à peine plus gros que des gouttes, ce qui donnait à la cible l'impression qu'il pleuvait à l'envers et au ralenti.
J'avais mis longtemps avant de réussir ce tour, car il fallait à la fois dévier l'eau qui lui tombait dessus, tout en s'en servant pour former des centaines de mini sphères qu'il fallait contrôler pour les faire monter dans les airs de façon crédible.
Cette manipulation exigeait une concentration intense, mais cela en valait toujours la peine quant à l'effet produit.
Et le résultat fut au rendez-vous ; je me pus m'empêcher d'éclater de rire à la vue de son air ébahi, à moitié émerveillé et se demandant en même temps ce qu'il se passait.

Encore en train de rire, je ne vis qu'au dernier moment l'effet raté de Kaïla. Des éclats de glace m'éraflèrent les joues, me provoquant de petits picotements ; mais la douleur s'estompait déjà sous l'effet de l'eau qui inondait mon visage.
Toujours d'humeur enjouée, je décidai de préparer une autre farce en profitant de la situation. La voyant s'approcher de moi, je me retournai en mettant un genou au sol pour la prendre par surprise. Je fis évaporer l'eau qui m'entourait de façon à créer un épais brouillard et en profitai pour m'esquiver discrètement dans la forêt que nous longions depuis plusieurs heures. J'attendis ensuite qu'elle s'approche assez pour s'apercevoir de ma soudaine disparition puis lançai de la voix la plus caverneuse possible, me servant de l'atmosphère ambiante pour la déformer plus encore :
- Ma vengeance sera terrible, tremble, misérable !
Le plus difficile fut sans doute de me retenir d'éclater à nouveau de rire en prononçant cette phrase totalement stéréotypée, mais j'y parvins par miracle.
Le sourire aux lèvres, je l'observais se retourner avec stupeur, et sans attendre, je fis choir sur elle des dizaines d'épieux de glace venus de toute part. Mais alors qu'ils allaient atteindre ma cible terrorisée, je les fis dévier de manière à ce qu'ils s'empilent et lui fassent comme une prison de glace.
Hilare, je sortis du bois et m'approchai prudemment d'elle.

Mon rire se calma en même temps que la pluie, et Kaïla se dégagea habilement de sa prison de glace pour atterrir juste devant moi. La voyant s'essorer les cheveux et trépigner sur place, je vis qu'elle était transie de froid et que son teint avait légèrement bleui.
Dans cet état, elle n'irait pas bien loin ; je commençai donc par évaporer l'eau de ses vêtements, avant de me lancer dans une tâche autrement plus délicate : réchauffer son corps. Le principe était le même, mais devait être extrêmement contrôlé. Me concentrant, je fis augmenter la température de l'eau qui la constituait lentement, car une erreur pouvait s'avérer très dangereuse. Lorsqu'elle atteignit la bonne température, j'arrêtai.
Je fis de même pour moi.
- Allez, en route maintenant !

Nous marchâmes donc quelques heures avant d'atteindre le refuge dans lequel nous avions projeté de passer la nuit. Il était toujours dans le même état, mais au moins il était resté au sec.
- Eh bien, ce n'est pas vraiment luxueux mais ça nous permettra de passer une nuit à l'abri de l'humidité et du froid. Installe toi pendant que j'allume le feu et que je prépare quelque chose de comestible.