Larme de Lune (Cancrass et Anne-C)

J'étais une élève attentive et appliquée mais Evyle, mon maître, sentait bien que mes conflits intérieurs se répercutaient sur mon entraînement. Aussi m'avait-elle conseillé de me rendre au temple de Polaris pour me recueillir, trouver la paix. Je pris donc la route un beau matin, le cœur serré mais pleine d'espoir.
Le ciel matinal était rose et l'énorme boule de feu pointait à peine le bout de son nez. Il lui faudrait des heures pour se dresser tout à fait. Elle semblait si lourde... Cette impression de pesanteur finit par venir m'habiter ; chacun de mes pas me coûtait un effort monumental. Je fis donc chemin lentement, absorbée par mes pensées. Je repensai à mon père, cet homme dur et intransigeant qui ne m'avait jamais trouvé le moindre intérêt, à ma mère, cette femme faible et soumise, à leur mort, au deuil que je n'avais pas encore tout à fait su faire. Je pensai également à mon entraînement avec Evyle. J'avais eu beaucoup de chance de la rencontrer. Cette jeune fille était un maître de l'eau impressionnant. Je finis par oublier le monde qui m'entourait et ne plus réaliser que je marchais encore et encore... Je fus surprise lorsque j'atteignis le temple ; j'avais presque oublié que je m'y rendais. Le nuit était tombée. La lune brillait d'une lumière blanche dans le ciel sombre. J'avais marché toute la journée.

Le temple se dressait devant moi sur son ilot de glace. Douves infranchissables, de forts courants se déchaînaient tout autour. Les murs translucides scintillaient sous l'effet des rayons argentés de la pleine lune. Vision à la fois violente et apaisante. C'était magnifique! Effrayant et rassurant... Je me laissai imprégner par cette atmosphère qui semblait répondre aux contradictions qui m'habitaient.
Il me fallait encore traverser les fameux courants! J'utilisai ma maîtrise de l'eau pour y parvenir et, quelques minutes plus tard, j'étais à l'entrée du temple. Je n'osais pas vraiment entrer. Je ne savais pas ce que j'allais y trouver. Pénétrer dans des endroits sacrés me rend toujours toute tremblante. Je poussai néanmoins la porte.

Je me trouvais dans une pièce ovale au centre de laquelle se situaient un plan d'eau et des estrades de glace où les prêtres et prêtresses avaient pour habitude de se tenir. La pièce semblait vide. Il faut dire qu'il était très tard. Une porte entre-ouverte donnait sur une autre pièce où se trouvait la larme de Lune. Je pensai à la Lune. Pourquoi donc avait-elle bien pu pleurer? Tout à coup la vie me paru cruelle ; quel monde était-ce donc pour que même la Lune verse une larme? Je sentis le désespoir envahir mon cœur et me mis à pleurer doucement, calmement. Les larmes couraient le long de mes joues, la douleur coulait hors de mon corps.
Tout à coup je levai la tête et vis un homme qui m'observait. Il portait des vêtements de prêtre. De long cheveux blancs tombaient en cascade autour de son visage. Il avait l'air jeune. Je me sentais stupide d'avoir été surprise entrain de pleurer, moi qui me croyait seule...